Mouvement et orientation

Mars 1995

Absence de corporalité dans le mouvement

Francis Bacon

Pour appréhender le corps, il faut tenir compte de son orientation et de l’ensemble de tous ses gestes possibles dans l’espace. Un geste peut être effectué pour plusieurs raisons différentes.

Ils peuvent être indispensables à la vie. Amener une main vers la bouche est l’acte par lequel la nourriture est absorbée. Laver le corps demande toute une gamme diversifiée de mouvements amples et souples.

Mais il y a aussi des gestes qui semblent superflus a première vue mais qui sont néanmoins très fréquents. Le grattement en est un, ou le fait de se frotter le nez, etc… Des gestes manqués. Ils sont révélateur d’un état psychologique, survenant surtout quand le sujet ne se sent pas à l’aise, qu’il soit anxieux ou qu’il se sente observé.

Ces auto-attouchements assurent à l’homme que son corps soit toujours bien là.
Quand un geste va à l’encontre d’une autre personne, il peut témoigner d’un sentiment de tendresse, de violence ou de toute autre émotion dont l’homme est pourvue.

A chaque représentation des gestes est lié un point de vue spécifique. Un geste qui est observé hors de son contexte, détaché de ceux qui ont précédés et de ceux qui vont suivre peut être mal interprété.

Il peut exprimer une seule émotion ou bien raconter une histoire.
Pour comprendre il faut observer.

Les outils premiers du geste sont les mains. La représentation qui met l’accent sur les mains d’un sujet provoque une fragmentation sans pour autant amener un agrandissement.

Mon corps tout entier n’est pas pour moi un assemblage d’organes juxtaposes dans l’espace.
Je le tiens dans une possession indivise et je connais la position de chacun de mes membres par un schéma corporel où ils tous enveloppés. Il devait me fournir le changement de position des parties de mon corps pour chaque mouvement de l’une d’elles, la position de chaque stimulus local dans l’ensemble du corps, le bilan des mouvements accomplis à chaque moment d’un geste complexe.

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la Perception, ‘Le corps comme objet et la physiologie mécaniste’

Le corps a son mouvement propre. Il lui est impossible de ne pas bouger. Même au repos des grandes articulations, des vibrations persistent, les yeux vibrent, les poumons se gonflent, les intestins travaillent, le cœur bat.
Un corps sans mouvement est un corps mort.

A côté des gestes, le corps exécute de nombreux mouvements, il ne cesse de bouger. Il doit bouger pour se déplacer, pour se nourrir, pour procréer et même pour dormir. Quand le sommeil semble immobiliser notre enveloppe visible, l’intérieur bouge d’avantage. Les fonctions vitales ne connaissent pas le repos.

Le corps peut être présent par son absence.
Des signifiants témoignent alors de son existence.
Dans l’état du mouvement, il est privé de sa corporalité et perd de sa substance aux yeux du spectateur.
Il peut devenir mouvement tout entier et des vibrations agitent chaque partie.

En même temps, son mouvement propre, c’est-à-dire son mouvement interne, présence de vie, s’oppose au bousculement extérieur qui le fait trembler.

L’accélération du sujet augmente la vitesse de ses mouvements internes. Le cœur bat plus vite, les poumons pompent d’avantage. Pour le sujet, ses organes sont plus présents lors de leur activité qu’au repos. Cependant cela n’est pas toujours perceptible de l’extérieur.

Le sujet qui se sent lui-même très vivant, très actif, est aperçu de l’extérieur comme turbulent, privé de stabilité, perdu dans l’espace.

Par exemple, l’oiseau qui franchit mon jardin n’est dans le moment même du mouvement qu’une puissance grisâtre de voler et, d’une maniéré générale, nous verrons que les choses se définissent premièrement par leur “comportement” et non par des “propriétés” statiques. Ce n’est pas moi qui reconnais en chacun des points et des instants traverses le même oiseau défini par des caractères explicites, c’est l’oiseau en volant qui fait l’unité de son mouvement, c’est lui qui se déplace, c’est ce tumulte plumeux encore ici qui est déjà là-bas dans une sorte d’ubiquité, comme la comète avec sa queue.

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la Perception, ibid.

Le sujet mouvant se déplace dans le temps. Les propriétés de son immobilité s’effacent. En mouvement il existera d’une autre manière, et on le reconnaîtra par sa gestualité personnelle.
Le sujet a un mode d’existence différent avant, pendant et après son mouvement. Sortant d’un mouvement il semble être le même, mais il ne l’est plus tout a fait.
Il s’est frotté au temps et à l’espace.

Des zones du corps autrefois obscures sont éclaircies de diverses façons. Les rayons X rendent visible l’ossature, l’ultrason dévoile les tissus et les organes et la camera filme les cavites internes auxquelles elle a accès.
Mais il n’en résulte jamais autre chose qu’une image bi-dimensionnelle, incapable de témoigner de la véritable profondeur du corps. Au contraire, en l’examinant de cette maniéré il devient presque objet. Sa cohérence se fragmente, l’organisme se disloque.
Cette impression d’unité ressentie par le sujet en se penchant sur son propre corps est mise en question par des procédés scientifiques qui consistent à l’examiner de maniéré morcelée.
La représentation du corps mène souvent à un agrandissement par la fragmentation et vice versa.
Déformé par l’échelle le sujet devient méconnaissable. Il n’est plus qu’objet vu de prés, ressemblant à une multitude de choses.

Il est pourtant vrai que le corps est plus fragmenté dans sa constitution que le sujet ne le ressente.
A la fin de la vie physique son assemblement fragmentaire se dévoile d’avantage.

La mort est donc multiple et dispersée dans le temps: elle n’est pas ce point privilégie à partir duquel les temps s’arrêtent pour se renverser, elle a comme la maladie elle-même une présence fourmillante que l’analyse peut répartir dans le temps et l’espace; peu à peu, ici ou là, chacun des nœuds vient à se rompre, jusqu’à ce que cesse la vie organique, au moins dans ses formes majeures, puisque longtemps après la mort de l’individu, des morts minuscules et partielles viendront à leur tour dissocier les
flots de vie qui s’obstinent.

Michel Foucault, Naissance de la clinique, ‘Ouvrez quelques cadavres’

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